On pleure les morts. On leur rend hommage. On écrit des textes poignants, on partage des souvenirs, on parle d’eux comme s’ils avaient été des légendes… Pourtant, combien de ces mêmes personnes étaient ignorées, critiquées ou oubliées de leur vivant ?
Pourquoi faut-il attendre qu’une personne disparaisse pour la respecter, pour la célébrer, pour lui accorder la valeur qu’elle méritait déjà avant ? Pourquoi certains reçoivent plus d’amour une fois partis que lorsqu’ils étaient là, sous nos yeux, à portée de message ou d’appel ? Pourquoi est-ce que l’absence déclenche soudainement des éloges et des regrets que l’on aurait pu exprimer bien plus tôt ?
C’est une hypocrisie qu’on ne remet presque jamais en question, une habitude bien ancrée dans la société. On vit comme si les autres étaient éternels, on repousse sans cesse l’essentiel, et on réalise trop tard qu’on aurait pu, qu’on aurait dû… On pense toujours avoir le temps, jusqu’au jour où on se retrouve face à une absence définitive.
Et là, les regrets s’installent. Les mots non dits deviennent un poids, les occasions manquées nous hantent. On se demande pourquoi on n’a pas pris ces quelques secondes pour exprimer ce qu’on ressentait. Et si on apprenait à traiter les vivants avec le même respect qu’on réserve aux morts ? Et si on décidait d’aimer pleinement, sans attendre qu’il soit trop tard ?
L’hommage posthume : un réflexe hypocrite ?
Dès qu’une personne décède, elle devient intouchable. On ne parle plus de ses erreurs, on ne souligne plus ses défauts, on ne retient que le positif. Comme par magie, toutes ses imperfections s’effacent et elle devient presque une figure idéalisée. Des hommages fleurissent partout : sur les réseaux, dans les médias, dans les conversations. Des proches qui ne donnaient plus de nouvelles depuis des années se rappellent soudainement à quel point elle comptait pour eux. On partage des souvenirs, des photos, des anecdotes émouvantes, on exprime un amour qu’on n’a jamais su ou osé montrer de son vivant.
Mais si cette personne était si précieuse, pourquoi ne pas lui avoir dit avant ? Pourquoi ne pas avoir fait preuve de cette admiration, de cette bienveillance, tant qu’elle pouvait encore l’entendre ? Pourquoi faut-il une disparition brutale pour que les mots et les gestes viennent enfin ? À quoi bon pleurer une personne à qui on n’a jamais pris la peine de montrer son importance ?
Le paradoxe de la reconnaissance tardive
Ce phénomène touche tout le monde, des célébrités aux anonymes. Combien d’artistes voient leur carrière exploser seulement après leur mort ? Combien de chanteurs, d’écrivains, de peintres deviennent des légendes… trop tard ? On célèbre Van Gogh, mais qui achetait ses toiles quand il était en vie ? On pleure des chanteurs dont on n’écoutait même plus les albums, on parle avec émotion de personnes qu’on n’a pas pris la peine d’appeler pendant des années. On glorifie des figures publiques qui étaient ignorées, critiquées ou moquées de leur vivant.
Mais ce paradoxe ne concerne pas que les personnalités publiques. Combien de personnes solitaires finissent entourées… uniquement dans un cercueil ? C’est comme si l’absence rendait les gens plus précieux. Comme si leur départ créait un vide qu’on comble par des mots et des gestes qu’ils n’ont jamais reçus de leur vivant. En réalité, ce n’est pas eux qu’on pleure, c’est notre propre culpabilité de ne pas avoir su les aimer assez avant. On pleure l’opportunité manquée, les gestes qu’on a omis, les paroles qu’on n’a pas dites.
Pourquoi attendre qu’il soit trop tard ?
On remet toujours les choses à plus tard. On se dit qu’on aura le temps. On pense à appeler un proche, mais on repousse au lendemain. On veut dire à quelqu’un qu’on l’aime, mais on attend « le bon moment ». On voudrait montrer notre respect à une personne, mais on suppose qu’elle le sait déjà, qu’elle devine ce qu’on ressent pour elle. Et puis un jour, il n’y a plus de demain. Il n’y a plus de messages à envoyer, plus d’appels à passer, plus de moments à partager. Tout ce qu’on aurait pu dire devient un regret figé dans le temps, une phrase inachevée qui résonne dans notre esprit trop tard.
La vérité, c’est que l’on sous-estime toujours l’impact de notre présence et de nos paroles tant qu’il est encore temps. On vit comme si les liens étaient acquis, comme si les autres allaient toujours être là. Mais un jour, on se retrouve à poser des fleurs sur une tombe au lieu de les offrir en main propre. On se rend compte que l’amour, l’attention, la reconnaissance n’ont de valeur que lorsqu’ils sont partagés avant qu’il ne soit trop tard.
Et si on changeait notre manière de faire ?
Respecter quelqu’un, ce n’est pas seulement poser des fleurs sur sa tombe ou écrire un beau texte d’adieu. C’est lui accorder de la valeur aujourd’hui, quand il peut encore le ressentir, quand il peut encore te répondre. C’est dire « je t’aime », « je t’admire », « je suis fier(e) de toi » maintenant, pas uniquement dans un discours d’enterrement. C’est prendre deux minutes pour envoyer un message, pour exprimer un compliment sincère, pour être présent tant que la personne est là.
Imagine un monde où on ne garderait pas nos plus belles paroles pour des funérailles. Un monde où on dirait aux gens qu’on les aime avant qu’ils partent. Un monde où on n’aurait pas besoin d’attendre une perte pour réaliser à quel point quelqu’un comptait. Imagine à quel point nos relations seraient plus riches, plus sincères, si on osait dire les choses quand il est encore temps.
Si on pouvait traiter les vivants comme on traite les morts – avec respect, gratitude et bienveillance – combien de vies seraient transformées ? Combien de personnes se sentiraient enfin reconnues et valorisées avant qu’il ne soit trop tard ? Combien d’entre nous pourraient vivre sans regrets, en sachant qu’ils ont exprimé à temps ce qu’ils ressentaient vraiment ?
On croit souvent que les grands gestes font la différence, mais ce sont les petites attentions, les mots sincères, les preuves d’amour du quotidien qui changent tout. Ce n’est pas dans la douleur de la perte qu’on doit exprimer nos sentiments, mais dans la lumière de la présence. Parce que la seule chose plus douloureuse que la perte, c’est le regret.
Ne garde pas tes plus belles paroles pour un enterrement. Dis-les maintenant.
Et si tu lis cet article, prends quelques secondes pour envoyer un message à quelqu’un qui compte pour toi. Pas demain. Pas plus tard. Maintenant.
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