On ne le dira jamais à voix haute. On ne l’écrira jamais sur une carte de fête des mères ou des pères. Et surtout, on ne l’avouera jamais devant les autres parents à la sortie de l’école ou autour d’un café. Parce que c’est le genre de pensée qui fait peur, qui fait honte, et qui te fait passer pour un monstre. C’est une pensée qui dérange, qui met mal à l’aise, qu’on garde enfouie tout au fond, derrière des sourires polis et des « ça va » automatiques.
Mais elle existe. Elle s’infiltre dans les silences, dans les soupirs, dans les regards vides au-dessus d’un plat de pâtes pas mangé, dans les longues nuits sans sommeil. Elle s’appelle : le regret d’avoir des enfants. Et même si personne ne le dit, même si tout le monde fait semblant, cette pensée-là traverse beaucoup plus d’esprits qu’on ne veut bien l’admettre.
Oui, on peut aimer ses enfants à la folie… et en même temps regretter de les avoir eus. C’est violent à entendre, mais c’est une vérité brute, crue, douloureuse, pour bien plus de gens qu’on ne le croit. Et tant que personne n’en parle, le mal continue de s’ancrer, de s’intensifier, de dévorer de l’intérieur ceux qui le portent.
Quand le rêve se transforme en prison invisible
On t’avait promis le bonheur, l’épanouissement, un amour inconditionnel qui rend tout plus beau. On t’avait dit que ça donnerait un sens à ta vie. Que tu comprendrais enfin ce que veut dire « aimer plus que soi-même ». Que tu allais t’accomplir en devenant parent, que ça remplirait un vide en toi. Et tu y as cru. Tu l’as espéré. Peut-être même que tu l’as attendu toute ta vie.
Et peut-être que c’est vrai. Par moments. Quand ils te sourient, quand ils dorment sur toi, quand ils rient pour une broutille ou t’attrapent la main. Mais ce qu’on ne t’avait pas dit, c’est l’autre côté. Le côté sombre. L’épuisement mental. Les nuits hachées. Le corps qui ne t’appartient plus. Les journées qui se répètent, sans fin. La liberté envolée. Les sacrifices invisibles, quotidiens. L’impression de t’effacer à petit feu.
On ne t’avait pas dit que parfois, tu pleurerais dans ta salle de bain, en silence, les poings serrés, en te demandant : « Mais qu’est-ce que j’ai fait ? Pourquoi j’ai cru que ça allait me rendre heureux(se) ? Et maintenant, comment je fais pour survivre à ça ? »
Le regret, ce n’est pas l’absence d’amour
Le plus dur, c’est que tu les aimes. Tu les regardes dormir et ton cœur se serre d’amour. Tu donnerais ta vie pour eux, sans hésiter une seconde. Mais ce n’est pas eux que tu regrettes. C’est toi que tu regrettes. La personne que tu étais. Celle que tu aurais pu devenir. Ta légèreté, ta carrière, ton couple, ton silence, ton corps, ta vie. Tout ce que tu as mis entre parenthèses pour devenir quelqu’un de bien, de responsable, de conforme à ce que la société attendait de toi.
Ce regret-là, il n’a pas de place. Pas dans la bouche d’une mère. Pas dans la tête d’un père. Pas dans une société qui glorifie la parentalité et détruit ceux qui osent dire que ce n’est pas ce qu’ils espéraient. Tu n’as pas le droit de dire que tu es fatigué(e), que tu as envie d’être ailleurs, que tu aurais voulu une autre vie. Parce que tout le monde te tombera dessus. On te traitera d’égoïste, d’ingrat(e), de personne toxique. Alors tu te tais. Tu souris. Et tu t’effondres en silence.
Ils n’ont pas brisé ta vie. Mais tu t’es oublié(e)
Ce n’est pas que tu ne voulais pas d’enfants. Peut-être que tu en voulais. Peut-être que tu pensais que ça allait t’aider à aller mieux, à exister, à te sentir complet. Peut-être que tu pensais que tu allais trouver une nouvelle raison de vivre. Quelque chose de plus grand que toi. Un projet sacré. Une évidence.
Mais la vérité, c’est que tu t’es effacé(e). Tu es devenu quelqu’un d’autre. Tu n’as pas juste eu des enfants. Tu as perdu ton nom. Tu es devenu « maman de », « papa de ». Tu es devenu fonctionnel, utile, présent, mais plus vraiment vivant. Plus vraiment toi. Tu t’es fondu(e) dans un rôle, dans des obligations, dans une identité construite pour les autres. Tu n’as plus le temps de rêver. Plus l’espace pour respirer. Et c’est là que ça fait mal. Profondément.
Et ce que tu ressens aujourd’hui, ce n’est pas de la haine. C’est un cri étouffé. Une envie de dire : « Moi aussi j’existe. Moi aussi j’ai le droit d’être fatigué(e), de vouloir m’enfuir, de rêver d’autre chose. De ne pas me résumer à ce que je donne aux autres. De redevenir une personne à part entière. »
Le sacrifice silencieux
Beaucoup vivent ce regret sans jamais le formuler. Parce qu’on leur a appris à se taire. Parce qu’on leur a dit que c’était ça, être parent : se sacrifier, se nier, s’effacer. On leur a vendu le mythe de la parentalité parfaite, alors qu’en vrai, c’est souvent un long tunnel où tu avances les yeux fermés, à bout de forces. Où tu fais semblant, tous les jours, de maîtriser quelque chose qui te dépasse. Où tu donnes tout, sans jamais te remplir.
Et tu tiens. Pour eux. Parce que tu les aimes. Mais en dedans, ça s’écroule. Tu n’oses pas le dire. Tu as peur d’être jugé(e). Peur de passer pour une mauvaise mère, un mauvais père. Peur de ne plus être aimé(e). Peur d’être montré(e) du doigt, rejeté(e), traité(e) d’ingrat(e), d’égoïste. Alors tu continues à sourire. À faire bonne figure. Mais chaque jour, tu t’enfonces un peu plus dans ce vide.
Ce n’est pas un crime d’être honnête
Le regret ne fait pas de toi un monstre. Il fait de toi un être humain. Complexe. Ambivalent. Capable d’aimer ses enfants et de regretter ce qu’on a perdu en les ayant. Capable de ressentir plusieurs choses à la fois, sans que l’une annule l’autre. Tu as le droit de dire que tu souffres. Que ce n’est pas ce à quoi tu t’attendais. Que tu te sens dépassé(e). Tu as le droit de ne pas être un parent épanoui tous les jours.
C’est le silence qui tue. Le tabou qui enferme. L’injonction au bonheur qui étouffe. Ce qu’on doit apprendre à faire, c’est à regarder nos blessures sans honte. Parce que c’est en les regardant qu’on peut recommencer à respirer. En les reconnaissant, on s’autorise à guérir. À reprendre le pouvoir sur notre propre vie. À recréer un lien sain avec nous-mêmes, puis avec nos enfants.
Retrouver ta place dans ta propre vie
Il est peut-être temps de te reconnecter à toi-même. Pas pour fuir. Pas pour abandonner. Mais pour exister à nouveau. Pour retrouver ton espace, ton identité, ta lumière. Parce qu’être parent, ce n’est pas être mort à soi-même. Ça ne devrait jamais l’être. Être parent ne veut pas dire disparaître. Tu as encore le droit de penser à toi, de rêver pour toi, de vivre pour toi aussi.
Tu as le droit de dire : « Je me suis oublié(e). J’ai donné. J’ai aimé. J’ai porté. Mais maintenant, j’ai besoin de revenir à moi. » Tu as le droit de reconstruire un lien avec toi, de remettre ton nom au centre de ta vie, même si tu as des enfants. C’est même essentiel si tu veux être un parent présent, équilibré, aimant.
Si tu sens que tu t’es perdu(e) dans ton rôle de parent, et que tu veux doucement retrouver ton centre, je te recommande sincèrement ces 52 exercices créés par Francis Machabée. C’est quelqu’un dont j’apprécie profondément la démarche, un professionnel bienveillant et inspirant, qui propose une vraie boussole intérieure pour retrouver l’équilibre. Prends ce temps pour toi. Tu le mérites. Vraiment.
Parce que tu mérites, toi aussi, de respirer pour de vrai. De vivre. Pas juste de survivre. De ressentir à nouveau que ta vie t’appartient.
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